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CRITIQUE | 11 juin 2004

Hair décontracté

Par CHAUVEAU JONATHAN
Bastille, rue de Lappe. La rue des soiffards parisiens et des bars à touristes. Entre une devanture défigurée par des affiches antédiluviennes et un irréductible restaurant auvergnat, une boutique laquée de blanc fait tache. Au fond de celle-ci, deux DJ se relaient en ping-pong sur les platines. Devant eux, un nerd chevelu s'éclate à Grand Theft Auto sur Xbox. A ses pieds, Pépé le bull-terrier, mascotte locale aussi langoureuse qu'effrayante, bave sur une manette. Dans la cabine d'essayage, une jeune femme enfile un des marcels Misericordia présentés en vitrine. Seules les trois personnes qui se font ratiboiser la couenne en bavardant au milieu de la boutique rappellent que nous sommes dans le salon de coiffure la Chambre à Hair. Impression vite effacée lorsque le serveur du troquet d'en face apporte à cette société impavide un plateau de bières fraîches. De midi à 20 heures, l'ambiance de cette échoppe est celle des salons de beauté où l'on se rend pour le plaisir de ragoter. On ne peut pas être plus éloigné de ces enseignes industrieuses où l'on coupe au kilomètre du tif à la mode.
«Easy living». Imaginée il y a deux ans par Pierrick et Andrea, 34 ans, la Chambre à Hair cultive son atypie. Monté de province il y a huit ans, le premier multiplia les mois d'essais dans les salons de la capitale. Juste assez pour savoir ce qu'il voulait : bichonner ses clients avec un égard tout particulier pour le cadre de travail. En attendant des jours meilleurs pour mettre la main sur un espace plus conforme à son amour du «easy living», il ouvre alors un local dans un placard à balai de la même rue. Six ans de coups de ciseaux plus tard, il ouvre, avec sa partenaire Andrea, la Chambre à Hair. Formée en architecture d'intérieur à l'école Boule, celle-ci aménagea l'espace. Aujourd'hui, en parallèle à son activité de coiffeuse, elle apporte un soin tout particulier à populariser son chien Pépé dans des séries de tableaux-portraits humoristiques exposés dans le salon : Pépé punk, Pépé dans l'espace, Pépé fait du sport... (A la rentrée, on découvrira ses talents d'acteurs dans le film Danny the Dog...).
L'open DJ  on peut venir mixer ses galettes n'importe quand , les jeux vidéo en guise de salle d'attente et le dépôt-vente (à côté de Misericordia, on trouve les culottes et les débardeurs de Muse, les jeans d'Edwin et les produits de la créatrice de mode Alexandra Delloye), imposent une atmosphère décontractée qui fidélise sans efforts apparents une société improbable de mondains et d'artistes, de gens de la nuit et autres commensaux du quartier. Tous autant de salonards invétérés cherchant à donner forme à leurs après-midi désoeuvrés. Chaque mois un vernissage est organisé à l'occasion du nouvel accrochage. Histoire de compter les fidèles du salon.
Effet décoloré. La coupe de cheveux n'étant pas ici l'activité unique, il est recommandé de tenir le coiffeur à l'oeil. Et cela d'autant plus qu'aucun miroir ne permet de vérifier que nos indications ont été bien comprises. L'un dans l'autre, la coupe se fait donc à la tête du client et selon l'humeur du coiffeur. L'alternative consistant à discuter avec Pierrick comme avec un visagiste ou de s'abandonner, à ses risques et périls, au laisser-aller ambiant. La coloration est revendiquée comme une spécialité maison. L'effet «décoloré par l'eau salée et le soleil», une mise en relief au dégradé naturel, est en période estivale très prisée par les jeunes femmes. Surtout lorsqu'elles n'ont pas encore pu partir en vacances.
Parmi les DVD à disposition, le cultissime The Endless Summer. Initiateur du genre, ce documentaire sur la vie itinérante des surfeurs, réalisé par Bruce Brown en 1964, incarne à merveille l'esprit lénifiant de l'endroit. Aux Parisiens qui ne quittent pas le bitume cet été, la Chambre à Hair est un spot à recommander. Pour apprendre à mixer ou pour rêver plage et surf(eurs) pendant un massage crânien.
Dessin Jean-Yves DUHOO